Chronique d’une enseignante indigne: Ma patience est secondaire

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Il est 7 h 20, le téléphone sonne. J’ai une journée complète de suppléance au primaire dans une école de LaSalle. Je m’habille, prends mon lunch et je pars.

C’était ma première journée de remplacement au primaire. Et ma dernière. En plus, j’étais chanceuse: j’avais toutes les périodes, et deux surveillances de récréation...

J’entre dans la classe et je trouve la planification. C’est drôlement divisé les journées au primaire. Je ne comprenais rien. Français, maths, dictée, calcul mental. Bon! Ça devait pas être sorcier et la fille de 3e année en enseignement secondaire que j’étais allait facilement s’en sortir.

Pas vraiment.

La cloche sonne, pas d’élèves. Un coup d’oeil dans le corridor, toujours pas d’élèves. Ah bon! La prof d’en face m’avertit que je dois aller chercher les élèves de 4e année dans la cour.

Génial.

J’arrive dans la cour et repère mon groupe: le seul à courir partout et à ne pas être en rang. Double génial.

Mes élèves entrent en courant, partout, entre les élèves des autres groupes. C’est la cata.

Une fois dans la classe, rien ne s’améliore. Je me présente, en leur demandant d’aller à leur place. Je leur décris le menu de la journée, en leur disant de se taire.

Finalement, j’ai pu prendre les présences.

Les amis, nous allons débuter avec la dictée. Prenez votre feuille de dictée trouée sur vos pupitres.

Je cherche sur mon bureau pour trouver la dictée. Pas de dictée.

S’il vous plait, restez calmes le temps que je trouve la dictée. Les élèves commencent à s’agiter. Je ne trouve pas la dictée.

Bon, nous allons passer aux mathématiques tout de suite parce que je ne trouve pas le cahier de dictée.

Erreur. Je n’aurais jamais dû prononcer ces mots. Un élève, petit, mais vif, se lève en criant : LA DICTÉE EST ANNULÉE! Et pour accompagner ses mots, il déchire sa feuille et la jette à la poubelle.

Ce que j’ai dû gérer après cet incident fut pénible. Très pénible.

Oui, oui, la dictée aura lieu. Attention les amis! Ne déchirez pas votre feuille! Non, garde ta feuille! Ramasse-la par terre! Toi, va chercher ta dictée dans la poubelle. Je vais trouver le cahier de dictée et tout va bien se passer.

Je retourne au bureau en panique chercher le foutu cahier de dictée. Quand soudain, une élève, pleine de bonté, se lève pour m’aider. Je pouvais lire dans son regard qu’elle me trouvait arriérée de ne pas savoir l’emplacement exact du mystérieux cahier. Elle avait autant d’attitude en s’avançant vers moi que la capitaine cheerleader d’un film américain qui rencontre la rejet boutonneuse de l’école.

Ben, il est là le cahier, dit-elle en le jetant sur mon bureau. Si mignonne cette petite.

Nous faisons la dictée. C’est pas long une dictée de 4e année...

Vous pouvez commencer l’exercice de maths quand vous aurez terminé. Silence s’il vous plait!

Au lieu d’avoir le silence, ce que je n’aurai jamais durant toute la journée, un élève se lève et court partout: J’ai fini! J’ai fini! Ça m’a pris combien de temps?, me dit-il les yeux brillants et fiers.

Je ne sais pas quoi dire.

Combien de temps?, me répète-t-il.

Ben pas longtemps.

2 minutes??, avec les yeux toujours aussi allumés.

Il voit bien que je n’en ai aucune idée.

Vous n’avez pas chronométré???

Je sentais dans son ton que j’avais fait quelque chose d’irréversible, mais quoi?

Je n’avais pas lancé le chrono pour vérifier le temps de chacun. Au lieu de ça, je leur ai dit de commencer quand ils avaient fini, à leur rythme. Belle erreur. Comment j’étais censée savoir?

Il avait fini le premier, alors j’ai inventé quelque chose, mais tous les autres allaient surement venir me poser la même question, aussi excités. J’avais manifestement gaffé.

Je regardais l’horloge chaque minute, dépourvue. Ça ne faisait même pas trente minutes que la période était débutée. La journée commençait si bien...

Finalement, nous avons eu une récré. Que je surveillais. Très belle expérience!

Madame! Madame! Il m’a poussé et là j’ai full mal au bras, me dit un petit garçon affolé.

C’est même pas vrai! C’est lui qui m’a frappé en premier, me dit l’autre.

Sérieusement? Ah oui! Je suis au primaire. Je gère du mieux que je peux, c’est-à-dire n’importe comment.

Le reste de l’avant-midi s’est passé dans le calme et le silence. Oui, oui! Je suis restée très calme et j’ai cessé de crier pour me faire entendre.

Sur l’heure du midi, j’ai eu envie de partir en courant. Ce que j’ai fait dans ma tête.

Dans la planification de l’enseignante, en après-midi, c’était indiqué que s’ils avaient le temps de faire l’exercice de collage, les élèves pourraient avoir une période libre. Je n’invente rien. Libre était vraiment le terme utilisé. Ils ont donc fait l’exercice et ensuite: libre. Je trouve juste que deux heures de libre, c’est beaucoup.. Selon eux, c’était toujours comme ça et dans ma tête, ils n’avaient pas travaillé de la journée et avaient été des élèves intolérables, alors oui, libre semblait une belle récompense.

En les regardant courir partout et se chamailler pour le partage de l’ordinateur, une pensée m’a traversé l’esprit: Je suis vraiment nulle pour gérer un groupe du primaire, et je m’en fous. J’ai salué mon choix de carrière: je suis à ma place au secondaire!

La cloche sonne. Mon dieu la journée est finie? Oui. Je le savais. Depuis 9h que je surveillais l’horloge pour être certaine qu’elle fonctionnait. J’ai ouvert la porte.

Au revoir les amis! Oui, vous pouvez sortir! Allez!

J’avais encore le goût de partir en courant. Ce que j’ai fait. Littéralement.

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